Deux semaines aujourd'hui que nous sommes arrivés à Singapore.

Fumi avait un avion à 1h ce matin pour Nagoya mais elle a attrapé une gastro fulgurante qui l'a cloué juste avant de prendre le taxi pour l'aéroport. Heureusement en fait, je ne vois pas comment elle aurait pu faire 7h de vol plus les 3h de transport nécessaires pour rentrer chez elle dans cet état et chargée comme elle l'est (elle rapporte des vivres en quantité). Ca lui laisse aussi un jour de répit pour retourner dans l'incertitude nucléaire, ce qui n'est pas pour me déplaire.

Pour ma part, je n'ai toujours pas décidé de ma date de retour à Tokyo. Rien ne presse vraiment à vrai dire, et je peux continuer ma vie ici pour le moment. Malgré tout beaucoup de questions me taraudent sur notre avenir proche ou lointain. "Rester à Singapour ou rentrer en France ? Combien de temps rester si tel est le cas ? Quand envisager le retour au Japon ? Dépendant de la reprise du travail de Fumi le 3 Avril, de mes avancées ici ou tout simplement de la situation nucléaire qui semble de plus en plus s'embourber et qui pourtant n'inquiète personne, en tout cas pas au Japon ?". Il faudra de toute manière rentrer pour un éventuel déménagement (le 4e de Fumi en 3 mois) prévu en deux phases : envoi des choses importantes et non essentielles à la survie chez les parents de Fumi plus au Sud de Tokyo à Hamamatsu, puis peut-être du reste au moment opportun (ou non si jugé trop dangereux). Il faudra aussi répondre présent au travail si le retour est nécessaire, situation qui nous forcerait à vivre sur la brèche encore longtemps (des mois, des années ?) à en croire les journaux étrangers.

Ces journaux d'ailleurs se font de plus en plus rares et sont de plus en plus pessimistes. De fait, et aussi parce que l'on a réussi à relâcher la pression ces derniers jours, Fumi et moi avons freiné le rythme des lectures des informations. Bizarrement, on se sent rassuré, un peu comme dans l'expérience ou l'on mettrait des grenouilles dans 2 casseroles d'eau sur le feu, l'une déjà bouillante, l'autre chauffante à partir d'une température ambiante. La grenouille plongée dans l'eau bouillante aurait tout de suite une réaction de survie et chercherait à sauter en dehors de la casserole. Nous, à contrario, sommes comme l'autre grenouille, les problèmes de la centrale vont en évoluant vers le pire mais nous ne savons en apprécier la dangerosité et ni déceler le point de non retour. Les autorités Japonaises aident aussi beaucoup à la tâche ; quand au début des évènements les allocutions télévisées des officiels étaient fréquentes (plusieurs par jour), il n'existe aujourd'hui plus que NHK qui diffuse en boucle le peu d'information disponible. On suit les conseils de l'ambassade de France qui à aussi ralenti le rythme des communications, mais que je crois être toujours notre meilleure source. Le plus dur dans ce peu d'information maintenant est de comprendre le vrai du faux, de faire le tri entre la nouvelle fraîche et l'ancienne savamment ressassée par les journalistes et souvent envoyée par les proches mal informés.

Nos amis Français, Loïc et Vincent, sont rentrés sous la pression de la hiérarchie. Ils ont donc repris leur poste comme à l'habitude, avec une nouvelle étiquette collée à tout jamais sur le front, celle du "Gaijin" (étranger) remplacée par celle du "Flyjin", nouveau mot inventé pour la circonstance désignant les personnes qui n'ont pas été solidaires et ont fuit le pays. Je suis d'avance anxieux pour Fumi qui aura d'ici quelque jours à affronter le regard inquisiteur de ses collègues. Du côté de nos amis Japonais je ne sais ce qu'ils pensent pour l'instant, mais pressens d'ors et déjà un froid entre nous.

La vie à Tokyo (information données par mes amis) semble avoir repris son court comme à l'habitude (chose dont je ne doute pas puisque j'ai été témoin de scènes complètement surréalistes après le tremblement de terre), seuls les rationnements d'eau, les coupures de courant organisées et les quelques répliques sismiques rappellent à la précarité de la situation, mais convaincu que les japonais s'empressent d'oublier ces détails pour continuer à vivre leur vie de tous les jours à laquelle ils s'accrochent avec une foi qui force l'admiration.

Dessin pour soutenir les Japonais, site: http://www.la-croix.com/illustrations/Multimedia/Actu/album/dessins-japon/slides/Japon+by+alison+morel.html