Petite histoire de vie, quotidien comme on en fait tant, mais qui dans ce pays du bout du monde revêt d'un exotisme plaisant.

Mon coiffeur, je l'ai choisi simplement en traversant la rue devant chez moi (j'ai depuis déménagé mais lui reste fidèle). Devanture verte fluo, VTT vert fluo et moto verte fluo parqués dehors, scooter old school japonais aussi, vert. Le salon de coiffure est design, comme tout ce qui se fait ici. Murs, mélange de béton armé lissé et de peinture de couleur... je vous laisse deviner.

Mon coiffeur, ou plutôt "mes", puisqu'il y en a deux, est un couple de trentenaire. Elle d'un look discret qui ne laisse transparaitre que douceur et gentillesse. Lui... Jean large estampillé "Fubu", chaussure de chantier à apparenter à des santiags, cheveux long de couleur noirs et teints d'un jaune douteux par endroits dans lesquels je verrai bien planté une plume de Sioux, et en guise de ceinture une grosse bande de cuir bardée de poches dans laquelle il jette délicatement ses instruments de torture... pardon, coiffure. Ca fait un bruit de clinquement quand il marche et pour peu je me croirais au farwest avec un indien du monde moderne prêt à me tailler le scalp.


Rassuré le premier jour en entrant dans la boutique; et a la vue de ses bras nus entièrement tatoués à la manière des Yakuza je lui ai timidement tendu mon badge de travail comportant une photos de moi avec les cheveux courts, me ravisant d'employer le vocabulaire que je venais d'apprendre pour la circonstance : "Kitte kudasai" - "Coupez (les cheveux) s'il vous plait"... me jurant que la prochaine phrase à connaitre serait "pas trop court derrière les oreilles, s'il vous plait".

Après avoir regardé la photo attentivement, ledit Amerindo-japonais a émis un son, "Onaji ?" (pareil ?), d'une voix fluette et à peine perceptible... Et la, comme dans une BD, j'ai scotché, puis étouffé un fou rire. Le maléfice etait levé ! La brute sanguinaire transformée en Bisounours était devenu par la même mon coiffeur préféré.

Pour être tout à fait franc, question coiffure c'est plutôt sa femme que je préfère et il semble bien qu'il préfère que ce soit elle qui s'occupe de moi, protocole oblige. Car, j'y viens, c'est bien du "cérémonial" dont je souhaitais parler à l'origine. La coiffure au Japon est loin de celle enjouée mais expéditive de NYC et encore plus loin de celle moins enjouée mais tout aussi expéditive de Paris.

Au commencement était la prise du manteau. Main tendues paumes vers le haut, légère courbette de la tête gratifiée d'un "sumimasen" (excusez moi) ; en toute simplicité. Pas de shampoing au début, on m'assoit directement dans le fauteuil de coiffure, et comme je suis maintenant un habitué c'est d'une jolie phrase que nous commençons la conversation qui en aura 2 (mon japonais est toujours aussi bon): "itsumo gurai?" (comme d'habitude ?). Fier de faire parti des anciens, et par la même de taire le regard de l'autre client qui me fais des yeux de "que fait un gaijin ici ?", je réponds d'un simple oui. On me mets une première petite serviette type rince doigt sur le col pour le confort, puis une autre petite pour faire étanchéité, et enfin on me passe le fameux "poncho" de coiffure. Pas de coupe à la tondeuse mais aux ciseaux. Je sens à peine les mains de la coiffeuse, délicatesse extrême et musique douce (française) en toile de fond (troublée seulement par les cliquetis des instruments de son mari amérindien). J'ai envie de dormir. Elle me met des barrettes dans les cheveux pour isoler les zones à couper ensuite, s'arrête de temps en temps pour vérifier l'exactitude de son travail, scrute avec attention mes expressions pour savoir si je suis satisfait, et coupe avec extrême prudence (et à mon grand regret) la zone grandissante de ma calvitie précoce.

Coupe finie, on m'enlève mon poncho et on me fait passer au shampoing. Là, avec tout le respect (donc cérémonial) que l'on doit à un client au Japon, on me met une serviette sur les genoux pour me protéger d'éventuelles éclaboussures, on allonge le siège et, surprenant, je me vois déposer sur la face un mouchoir en équilibre pour que je ne me retrouve pas les yeux dans les yeux avec le coiffeur. 100L d'eau après (l'écologie au japon c'est pas encore ça) et séchage des cheveux méticuleux (intérieur des oreilles comprises) il est toujours la en équilibre sur mon nez ! On me tend enfin une petite serviette humide et chaude pour 'm'éponger' le visage, en me gratifiant d'un sourire et d'un "Osukarasama desu", qui en traduction littérale donnerai "Votre dur labeur est fini (veuillez accepter de vous reposer)".

Dernier passage au stand coiffure non sans avoir remis délicatement mes cheveux droit afin que je n'ai pas trop peur de ma calvitie (l'attention est adorable mais bizarrement au bout de deux fois j'ai du mal à l'apprécier). Application d'un gel qui pétille sur la tête (j'ai demandé une fois l'utilité mais ne m'en souviens plus), massage de crâne et d'épaules, séchage de cheveux et enfin dernière retouche pour couper un cheveu qui dépasse - à chaque fois la mine très concentrée qui tente de me conforter dans le fait que le travail à été bien fait. J'approuve d'un hochement de tête, d'un grand sourire et d'un Arigato. Paiement en caisse, 3 coups de tampon sur ma "Pointo Cado" ("Point Card" - carte de membre) qui au bout de 3 ans n'a toujours pas atteint la coupe gratuite et on me raccompagne à la porte en me disant au revoir d'une courbette.

Une heure après être entre dans la boutique, je ressors heureux, me demandant alors comment je pourrais à nouveau apprécier le service à la française...